Samedi, 5h45L'inspecteur Yria Leghan buvait son café de grand matin, sous une pluie battante. Elle regardait, songeuse, la buée formée par son souffle se mêler à la fumée qui s'échappait de son gobelet en carton, qu'elle protégeait de la pluie en le couvrant d'une main. Ces derniers mois avaient été calmes, elle aurait aimé que cela continue. De taille moyenne, elle avait les cheveux bruns noués en queue de cheval. Un visage doux encadrait ses yeux verts émeraude. Son corps était fin et élancé, tout en courbes agréables à l'œil. Elle aurait pu être mannequin ou actrice, dans un monde comme le nôtre ou les apparences sont si significatives. Mais, comme son père, elle avait voulu être inspecteur. Et elle avait réussi avec brio. Des années d'études, de formation, d'apprentissage, de terrain. Elle en avait récolté du respect, de la gratitude, de la satisfaction mais également des mois d'hôpitaux, la perte de proches, la solitude et un corps marqué à jamais par de nombreuses cicatrices qui faisaient fuir tous ses potentiels amants. Elle n'avait que vingt-sept ans et portait plus de cicatrice que son père, âgé de cinquante et un ans. Cela lui importait peu, elle aimait son travail. Même si il y avait des jours où il lui arrivait de regretter d'avoir choisi ce métier... Des jours comme celui-là.
Commencer sa journée de travail avec un cadavre sur les bras, ce n'était pas idéal pour le moral. Quand même les médecins légistes ne parviennaient pas à expliquer la cause la mort, violente et particulièrement sanglante, ça l'était encore moins.
Soupirant, elle s'extirpa de ses pensées et concentra son attention sur le cadavre au milieu de la ruelle, heureusement déserte à cette heure-ci. Elle eût un frisson. Ce n'était pas son premier corps, certainement pas le dernier non plus. Ce n'était pas, non plus, sa première mort violente, mais là, ça dépassait tout ce qu'elle avait vu. La femme – on avait pu déterminer son sexe grâce aux lambeaux de robe retrouvés non loin – avait littéralement été déchiquetée. De sa tête, il ne restait qu'un crâne fissuré recouvert de quelques morceaux de chair. De ses os, quelques morceaux disparates. Ce qu'il restait de son corps faisait penser à un tas de viande hachée. Yiria sentit un autre frisson glacé remonter le long de son échine en reconnaissant un morceau d'intestin gisant à quelques mètres de ses pieds, tel un immonde ver gluant. Elle ferma les yeux, inspira profondément et se décida.
Prenant soin de ne pas marcher dans la flaque de sang – chose rendue ardue par la pluie qui diluait le tout – elle aborda l'un des légistes.
- Qu'est-ce que tu peux m'en dire, Lionnel ?
Lionnel Handcraft, réputé meilleur médecin légiste de la section et ami proche d'Yria, se redressa en lâchant un morceau de foie – à moins qu'il ne s'agisse d'un autre organe – qui retomba en faisant un petit "splotch" dans la mare de sang. Il enleva ses gants de latex et passa une main dans ses courts cheveux blonds avant de gratter sa barbe naissante. Ses yeux gris balayèrent la scène de crime avant de se river dans ceux de son interlocutrice. Ses quelques rides s'accentuèrent et il paru faire bien plus âgé que ses trente-quatre ans. Il répondit d'une voix hésitante, lui aussi était troublé.
- Ce que je peux en dire... Ma foi pas grand-chose. Impossible de dire s'il y a eu violence sexuelle sans analyse ultérieure. Je dirais que la mort a eu lieu il y a quelques heures, vers trois ou quatre heure du matin tout au plus. Impossible de savoir si elle a eu le crâne fendu avant ou après s'être faite... Déchirer, je ne vois pas comment le dire autrement. Il faut une force monstrueuse pour pouvoir faire ça à un corps humain. Aucun homme ne pourrait le faire, pas seul et pas sans des outils. Or les os de la victime ne portent aucunes traces d'outils. D'ailleurs, viens voir.
Il enjamba le tas de chair sur lequel il venait de travailler pour s'approcher du crâne, seul os relativement intact. Il s'accroupit devant et invita Yria à faire de même. Alors qu'elle s'exécutait, il recommença son explication.
- Regarde... La fêlure du crâne à suivit les jointures mais tu as vu comment l'os c'est déplacé ?
- Heu... Pas vraiment non. Répondit-elle en essayant de noter un maximum d'information sur son calepin tout en tentant de garder son maigre petit déjeuner dans son estomac.
- C’n’est pas ton domaine non plus... Et bien pour faire court, les morceaux du crâne se sont déplacés comme si on les avait poussés de l'intérieur. Vu la force nécessaire je dirais qu'il est heureux que le crâne soit encore entier, sinon on aurait retrouvé des petits bouts d'os un peu partout dans la ruelle... Par ailleurs, il n'y à aucune trace du cerveau. Ni ici ni dans le tas de viande là bas. Je crains qu'il ait été prélevé.
Livide, Yria se redressa maladroitement.
- T'es sur de toi ?
- Je ne vois, actuellement du moins, pas d'autre explications. Et avec un corps dans cet état je ne vois franchement pas ce que je pourrai dire de plus.
Yria se mit à réfléchir tout haut, par habitude.
- Comment un homme, ou des hommes ont-ils pu faire ça sans foutre de sang sur les murs ? Comment ils ont fait pour ne pas laisser de traces de sang en repartant et comment se fait-il que personne n'aie entendu quoi que ce soit dans le secteur ?
- Inspecteur, c'est à vous de nous le dire... Pas à moi.
Yria lui lança un regard apte à faire fondre un bloc de glace avant de retourner à sa voiture civile.
Elle avait récupéré un maximum d'informations, compte tenu du fait que les papiers d'identité de la victime, tout comme un éventuel sac à main avaient disparu.
Pouvait-elle considérer le vol comme mobile du crime ?
On ne massacrait pas quelqu'un comme ça juste pour lui piquer son sac...
Elle démarra sa voiture, un modèle bon marché de couleur gris foncé, et se dirigea vers son domicile. Elle n'était pas censée travailler au commissariat le week-end, aussi avait-elle pris l'habitude d'emporter ses affaires chez elle en fin de semaine pour ne pas rester à tourner comme un loup en cage dans sa maison. Elle salua Lionnel avant de partir. La regardant s'éloigner, le médecin légiste s'écarta de la scène du crime, laissant ses collègues s'occuper d'emballer les morceaux, et dégaina un téléphone portable. Il composa un numéro de tête et attendit que son interlocuteur décroche. Il soupira en entendant la messagerie automatique de son contact s'enclencher. Le message qu'il laissa était dit d'une voix rapide, tendue.
- Edan... Je viens de tomber sur un cadavre. Je n'avais plus vu ça depuis l'Irlande, quand nous avons travaillé ensemble... Je crains bien que ce soit ce à quoi tu pensais... Je te tiens au courant des avancées de l'enquête... Oh au fait, c'est la fille de Cédric qui s'en charge... Tu pourrais garder un œil sur elle ? Je sais que ça ne va pas te plaire mais tu auras surement besoin de Daniel aussi... De toute façon tu te le coltines depuis des siècles. Aller, à la revoyure.
Lionnel raccrocha, soupira et s'en retourna pour aider ses collègues, de sombres souvenirs lui revenant en mémoire.
De son côté, Yria pestait contre les embarras de circulation. Elle avait pensé, bien naïvement, que l'heure matinale lui aurait permis d'échapper aux embouteillages de la ville. Rien n'en était et elle se retrouvait cloitrée dans sa voiture, avec pour seule compagnie un gobelet de café en équilibre instable et de la musique metal à bas volume. Exaspérée, elle monta le son et termina son café en attendant de pouvoir avancer à nouveau. Elle avait du mal, comme toujours, à s'ôter de la tête la vue de ce cadavre réduit en charpie. Elle ne comprenait pas comment un être humain pouvait en arriver à faire subir cela à l'un de ses semblables. Même dans les dossiers de tueurs en série qu'elle avait compulsé, elle n'avait pas vu un tel niveau de sauvagerie. C'était dérangeant, beaucoup plus que toutes ses autres affaires. Elle secoua sa tête et se regarda dans le rétroviseur.
- Tu n'arriveras à rien si tu te focalises là-dessus, se dit-elle à haute voix.
Elle avait besoin de prendre une douche, de se relaxer un peu avant de se mettre au travail.
Il lui fallut une demi-heure pour rentrer chez elle, alors que sans circulation capricieuse le trajet durait un peu moins de dix minutes. Une fois rentrée, elle déposa son calepin et quelques dossiers sur la table de son petit salon, peu décoré et se dirigea vers sa salle de bain.
Elle resta longtemps sous le jet brulant de l'eau, s'apaisant et commençant à réfléchir. Ses réflexions ne s'interrompirent que lorsqu'elle sortit, cédant à son petit rituel. Elle s'observa, nue, dans son miroir. Toujours le même parcours, l'épaule droite, presque indemne, l'épaule gauche, trouée de cicatrices circulaires, souvenirs d'une fusillade. Ensuite ses seins, tous deux refaits à un an et quelques mois d'intervalle suite à un coup de couteau mal placé dans le sein gauche et une balle qui avait percé son sein droit, ainsi que son poumon. Cette fois-là, sa survie s'était jouée à quelques secondes près. Les médecins l'avaient soignée au mieux, l'avertissant tout de même qu'elle n'aurait plus jamais la même capacité pulmonaire. Elle avait tenu à ce que les chirurgiens esthétiques refassent sa poitrine exactement comme elle avait été et le résultat était, à ses yeux, pas trop mal. Son regard descendit ensuite vers son ventre, marbré de quatre cicatrices longilignes, d'autres coups de couteaux. Venaient ensuite les cuisses, dont seule la droite portait une cicatrice, encore un impact de balle. Etonnamment, ses bras étaient indemnes... Pour le moment. Elle avait conservé, malgré la rééducation, une raideur dans le bras gauche et la blessure de sa jambe, cumulée à sa respiration diminuée, ne lui permettait plus de courir de longues distances ou d’effectuer des activités physiques éreintantes.
Ces cicatrices, rappel silencieux de la vie dangereuse qu'elle menait, étaient le principal motif de célibat de la jeune femme. Elle avait eu beau prévenir ses potentiels amants qu'elle avait ces marques, tous sans exception avaient refusés de la toucher en les voyants et l'avaient quittés peu de temps après. Les premières fois, elle avait déprimé pendant des mois avant de finalement se reprendre et de s'en moquer. Elle avait autre chose à faire que de payer des chirurgiens pour effacer ces marques. D'une certaine manière, elle les appréciait un peu, les considérants comme des preuves signifiant qu'elle avait frôlé la mort et qu'elle avait survécu. Et qui sait, le jour où elle trouverait un amant qui ne serait pas dégoûté par ces cicatrices, peut-être que ce sera le bon. Sans se jeter d’autres regards, si ce n'est pour se recoiffer, elle s'essuya et s'habilla léger. La journée allait être longue et le soleil allait cogner. Ouvrant une fenêtre, préparant une carafe et un verre d'eau, elle se mit au travail.
Samedi, 12h02, à l'autre bout de la villeEdan Toirneach, surnommé "La Douille" dans l'unité de mercenaires a laquelle il avait appartenu dans sa jeunesse, s'éveilla avec peine, l'esprit encore embué par le whisky. Du haut de ses trente-sept ans, il en paraissait dix de moins. Néanmoins, il suffisait de le regarder dans les yeux pour y déceler une certaine lueur qu'on ne remarquait que chez les vieux vétérans. La guerre laissait des traces chez tout le monde. Il se redressa péniblement, se servant de sa main pour remettre de l'ordre dans la tignasse brune foncée qui lui servait de cheveux et qui, comme tous les matins, lui obstruait la vue. Il coupa son réveil et s'assit sur son lit. Malgré quelques difficultés dues à la gueule de bois, il noua ses cheveux en une unique tresse lui descendant sous les épaules et se redressa, en slip, en quête de nourriture. Il descendit les escaliers menant au rez-de-chaussée de sa maison, constata à la diode verte allumée qu'il avait un message et se fit un jus de fruits qu'il englouti cul-sec avant de saisir un morceau de pain. Tout en mangeant, il écouta le message de Lionnel, le rythme de sa mastication diminuant au fur et à mesure que ses sourcils se fronçaient et que le message continuait. Il jura en gaélique avant de se précipiter dans sa chambre pour trouver de quoi se vêtir. Un pantalon en jeans, un T-shirt noir, ses éternelles chaussures de l'armée et sa veste de motard en cuir. Avant de sortir, il se rendit dans la pièce adjacente à sa chambre, une ancienne chambre d'ami qu'il avait remaniée en arsenal. Entre les mitrailleuses, les revolvers, les pistolets et la pléthore d'arme à feu dont il disposait, on pouvait apercevoir une multitude d'armes blanches, dont des épées médiévales et une lame d'origine celtique en excellent état. Il caressa la poignée en cuir noir de l'épée celte avant de prendre un pistolet Five-Seven Belge et deux chargeurs qu'il fourra dans son holster d'épaule. Il prit soin de prendre le permis de port et de détention d'arme correspondant et se dirigea dans son garage. Il mit son casque, commanda l'ouverture électronique de la porte du garage et démarra sa moto, un vieux modèle qu'il retapait régulièrement. Laissant la porte se refermer automatiquement, il fit rugir le moteur pour le plaisir, et un peu pour provoquer ses voisins, avant de se diriger vers le laboratoire de Lionnel. Normalement, un "civil" tel que lui ne pouvait pas rentrer dans le laboratoire de la police. Néanmoins, les policiers faisaient souvent appel à Edan pour deux raisons. Premièrement, c'était un expert en armes à feu, doublé d'une connaissance en balistique qui rivalisait avec celle des spécialistes du labo. Deuxièmement, bien que ce ne soit pas officiel, les policiers faisaient parfois appel à lui en tant que mercenaire pour les aider lors des interventions armées. Méthode peu orthodoxe que de mêler un soldat non régulier aux affaires policières, mais les résultats étaient encourageant, aussi les supérieurs fermaient les yeux et payaient pour les services rendus. Edan ne participait plus aux opérations de mercenariat de guerre depuis douze ans, aussi il appréciait de pouvoir travailler avec les policiers, il trouvait ça plus calme. Tout le monde y trouvait son compte, sauf les criminels. Mais aujourd'hui, c'était pour une toute autre raison qu'il se rendait au laboratoire. Une raison qui n'augurait rien de bon, vraiment rien...
Le mercenaire se gara dans le parking réservé aux employés et se précipita à la morgue, dans le domaine de Lionnel. Il salua brievement les rares personnes qu'il rencontra, marchant d'un pas rapide vers sa destination. Il n'aimait pas les morgues. Autant la vue des cadavres sur un champs de bataille ne l'avait jamais dérangé, autant les corps entreposés dans une salle vide, tels des objets, suscitait en lui un sentiment de malêtre incontrolable. Mais le moment n'était pas opportun pour songer à ça. Il y avait un tueur assoiffé de sang, une bète incontrolable en liberté dans la ville. Un être qu'il avait déjà affronté il y à vingt ans, avec Daniel, Lionnel et vingt autres hommes, dont le père d'Yria. Ce fut un massacre total, un bain de sang. Ils furent six à survivre, aucun d’entre eux n'en ressortit indemne, Lionnel excepté... Ils avaient cru que le cauchemar était fini...
Ils ne feraient pas les mêmes erreurs cette fois... Ils savaient à quoi ils s'attaquaient, il fallait juste le débusquer !
C'est presque en courant qu'il entra dans l'antre du légiste. Ce dernier, habitué aux entrées fracassantes d'Edan, ne daigna même pas lever la tête de son travail, le tas de chair qui avait autrefois été une femme. Goguenard, il l'apostropha en déplaçant un os.
- Tu as fais vite... Je t'ai laissé un message il y à quoi... Un peu moins de sept heures ?
Edan le gratifia d'un doigt d'honneur que Lionnel ne vit pas, avant de s'approcher de la table d'autopsie. Il allait demander au légiste s'il était sûr de lui, conservant le vague espoir qu'il pouvait y avoir une erreur, mais la vue des restes et du crâne fendu lui firent vite oublier son espoir. Il ferma les yeux et inspira profondément.
Le cauchemar recommençait...
16h45, Maison d'YriaExcédée, mais heureuse d'avoir pu avancer dans son travail, Yria referma le dossier d'un geste de la main. Une affaire de réglée, à l'exception de formalités administratives. Elle vida son verre d'un trait avant de s'attaquer à son nouveau dossier, la boucherie de ce matin. Alors qu'elle se levait pour se dégourdir les jambes, elle fut prise d'un étrange phénomène. Elle cru d'abord s'être levée trop vite en sentant sa tête tourner, mais la sensation se prolongea et s'intensifia au point qu'elle dut s'appuyer sur sa table pour ne pas chuter. Les vertiges diminuèrent puis cessèrent. Yria se redressa, angoissée. Avant qu'elle aie eut le temps de se dire que ce devait être la fatigue, ce fut l'explosion. Une cacophonie de voix s'éleva brusquement dans sa tête, à un volume tel que la jeune femme en perdit l'équilibre pour de bon. Toutes ses pensées furent oblitérées par ces voix, répétant inlassablement ce même couplet, à des cadences différentes.
« La pire des souffrances,
Est dans la douceur rance,
De cet abyme infini
que l’on nomme l’Oubli. »
Dans le chaos de son esprit, juste avant de sombrer dans l'inconscience, elle ne remarqua pas que ces phrases n'étaient pas prononcée en français, mais en langage Celte. Un très ancien langage qu'elle ne connaissais pas, mais qu'elle arrivait néanmoins à comprendre...
Elle fut réveillée par la sonnerie stridente de son téléphone et c’est avec une douleur sourde pulsant dans son crâne qu’elle se redressa et alla décrocher. C’était les détails et les résultats préliminaires de l’enquête sur la Boucherie de ce matin. Lionnel n'avait rien pu tirer du cadavre, mais on avait néanmoins trouvé le nom de la victime : Hélène Bloom, vingt-trois ans, sans histoire. Yria eu une pensée compatissante envers ses collègues qui avaient dû annoncer aux parents de la victime ce qui s’était passé. Peu de détails, mais une base de piste pour l’inspecteur. Elle espérait pouvoir trouver le coupable au plus vite, car une telle violence lui faisait irrémédiablement penser à un tueur en série. Elle craignait de revoir une boucherie similaire et savait d’avance que les images de la matinée hanteraient ses nuits durant plusieurs semaines. Remerciant son collègue, elle raccrocha et se massa les tempes. Elle passa la main sur son crâne et sentit une belle bosse. La chute avait été rude. Elle n’arrivait pas à se souvenir ce qui avait provoqué sa chute. Probablement un coup de chaud, se dit-elle en allant chercher un comprimé effervescent.
Massant son crâne tout en regardant le comprimé se dissoudre dans son verre, elle réfléchissais à ce qu'elle allait faire pour explorer les maigres pistes dont elle disposait. Hélène avait dîné dans un restaurant de luxe avec un certain Daniel Cenncroithi. Un nom de famille aux sonorités étranges et un restaurant chic, c'était tout ce dont elle disposait. Elle eut un rictus moitié amusé moitié irrité, venant de se rendre compte qu'elle n'avait absolument rien noté. Elle aurait été bien en peine d'orthographier correctement le nom de la dernière personne à avoir vu Hélène en vie...
Se maudissant, elle prit son carnet de note et décrocha le téléphone pour rappeler le poste de police. Quelques minutes plus tard, elle composait le numéro du sieur Cenncroithi. Il était professeur d'histoire en Université, âgé de trente cinq ans, sans antécédent judiciaire connu.
- Daniel Cenncroithi à l'appareil, que puis-je pour vous ?
Il avait une voix grave, profonde, mais étonnamment, Yria se senti mal à l'aise, devant faire plus d'efforts qu'à l'accoutumée pour conserver son ton professionnel.
- Bonjour monsieur, Inspecteur Yria Leghan de la police criminelle. Je vous téléphone au sujet d'Hélène Bloom...
Daniel répondit d'un ton amusé :
- Deux de vos collègues sont passés prendre ma déposition il y à moins de deux heures, que puis-je vous dire de plus ?
- J'aimerais en discuter face à face avec vous si cela ne vous dérange pas.
- Ma foi... Ce serait là une rencontre intéressante, Que diriez-vous de nous voir tout de suite ?
Déboussolée, Yria bafouilla un peu avant de répondre :
- Heu... Disons plutôt dans une heure ?
- C'est tout aussi bien, vous croiserez mon collègue. Est-ce tout ?
- Oui ce sera tout. A dans une heure.
- Prudence, Mademoiselle Leghan...
Il avait raccroché avant qu'Yria n'aie pu réagir. Elle rangea son téléphone en tremblant. Il fallait un peu plus d'une demi heure de route pour aller à l'adresse dont elle disposait. Tout en se préparant, elle ne cessait de se répéter la dernière phrase de Daniel. Devait-elle y voir une menace ou un avertissement ? Elle emmena un enregistreur audio, de quoi noter ainsi que son arme de service, un Glock 17. Ce dernier ne la quittait plus depuis des années, conséquence directe du dangereux mode de vie de la jeune femme. Mue par un étrange pressentiment, Yria pris deux chargeurs supplémentaires et nota sur un petit post-it la date, l'heure de son départ et sa destination. Elle colla ensuite ce petit papier sur le sol juste après la porte d'entrée de sa maison. Ainsi, si il lui arrivait quelque chose, ses collègues sauraient où elle avait été. Elle passa les quelques dix minutes suivante à ranger son salon et ses dossiers. Puis, vînt le moment ou elle ne pouvait plus repousser son départ. Elle s'installa dans sa voiture, mis le contact et démarra. Contrairement à son habitude, elle ne fit pas hurler les baffles de la radio, se contentant de métal symphonique à bas volume. L'énigmatique demande de prudence l'obsédait, son instinct lui criait que quelque chose n'était pas net chez cet homme. Elle s'était rarement trompée en suivant son instinct, mais elle ne pouvais pas juger un homme rien qu'au son de sa voix, ce n'était vraiment pas professionnel...
Et pourtant, le doute la tarauda durant tout le trajet. Elle avait l'impression de se retrouver des années en arrière, lors de sa première enquête, presque terrassée par le stress, se questionnant sans cesse. Frustrée de ne pas comprendre ses propres réactions, elle frappa le volant du plat de la main assez fort pour que la douleur remonte jusqu'à son épaule. Sa colère décuplée par la douleur, elle ne se décrispa qu'une fois garée, à une vingtaine de mètres de sa destination. Elle resta quelques instants sans bouger, inspirant profondément afin de se détendre. La douleur de son crâne avait quelque peu reflué, ce qui l'aidait à réfléchir. Munie de son sac civil, elle se dirigea vers la Maison de Daniel d'un pas moins hésitant qu'elle ne l'aurait cru. Après tout, il s'agissait juste d'interroger un suspect, rien d’insurmontable...
Éloigné du centre ville, le quartier était proche des habitations luxueuses sans pour autant être lui même huppé. La maison de Daniel semblait vieille, usée par le temps et paradoxalement bien entretenue.
Il ouvrit la porte quelques secondes après qu'Yria aie sonné. Il était mince, presque malingre, pâle comme un linge. Ses yeux d'un noir profond, étaient saisissant, contrastant avec sa peau , semblant presque irréels. Son visage glabre était émacié encadrés pas des cheveux longs, filasses, d'un noir mat qu'Yria n'avait jamais vu auparavant. Elle avait l'impression que ses cheveux absorbaient la lumière, tel d'innombrables fissures dans la réalité. Yria nota de grosse cernes sous ses yeux, ainsi que des dents légèrement jaunâtres. Il paraissait beaucoup moins que son âge, mais se devait être dû à son apparence générale.
Il la salua poliment de sa voix grave, qui déteignait avec son aspect maladif. Il était vêtu d'une chemise blanche et d'un pantalon gris dont Yria ignorait la matière.
- Entrez donc, nous avons fort à faire...
Yria haussa un sourcil, elle ne s'était pas attendue à un accueil chaleureux. Daniel ferma la porte derrière elle avant de mener l'inspecteur dans son salon, où son collègue accueillit Yria avec un large sourire.
- Bonsoir Yria !
- Edan ? Mais que... Qu'est-ce que tu fous ici ?
Le sourire du mercenaire s'effaça. Il soupira et invita la jeune femme à s'assoir sur l'un des fauteuils en cuir. Daniel partit préparer du café, les laissant seuls pour un moment.
Elle brisa le silence en premier :
- Je suis venu interroger monsieur Cenncroithi pour les besoins d'une enquête de...
- Je sais. Daniel était avec moi cette nuit là, on bossait là dessus.
D'un geste de la main, il désigna les nombreuses feuilles jonchant la table basse. Il y avait de nombreux rapports de police, dont plusieurs en langue étrangère, ainsi qu'une carte de la ville sur laquelle on avait entouré un point d'un cercle rouge. Edan était déjà au courant pour le meurtre sauvage de la matinée... Elle remarqua après qu'il y avait trois tasses, dont une encore à moitié remplie.
- Tu sais que je pourrais t'arrêter pour ça ? Lança-t-elle, tout sourire
Edan se contenta de sourire sereinement. Yria montra l'une des tasses.
- Qui t'as donné ces infos ?
- Quelqu'un en qui nous avons confiance et qui souhaiterais garder l'anonymat. Répondit Daniel en entrant avec un plateau et trois tasses fumantes.
Yria le regarda dans les yeux, le jaugeant. Daniel rit doucement et s'assit.
- Je sais pourquoi vous êtes là, mademoiselle. En tant que dernière personne à avoir vu Hélène vivante, je suis en tête de liste des suspect... Comme vous l'a certainement dit Edan, j'ai passé la nuit ici même à travailler. J'ai dîné avec Hélène vers vingt heure trente, nous avons quitté le restaurant environ une heure plus tard, les serveurs pourront vous le confirmer. Je l'ai déposée chez elle ensuite, ses parents pourront également vous le confirmer.
- Monsieur Cenncroithi, vous êtes professeur d'histoire et c'était une de vos élève... Étiez-vous proches ?
- Oui. Elle me plaisait et c'était réciproque, quel mal il y a-t-il ?
Yria lui lança un regard dur.
- Votre voix n’a même pas tremblé lorsque vous avez raconté cela. Si vous étiez si proches, vous devriez être plus affecté, non ?
Daniel, resté imperturbable durant l'entretien, eut un rictus.
- Mademoiselle Leghan... Avez vous entendu parler de la Boucherie de Dublin ?
Elle fronça les sourcils... Edan lui expliqua.
- L'opération ou j'ai rencontré ton père, tu devais avoir sept ou huit ans.
- Je m'y trouvais également, rajouta Daniel. C'est peu connu du public, mais plusieurs cadavre avaient été trouvés avant que l'on ne tente d'appréhender ce suspect. Des cadavres dans le même état que celui que vous avez trouvé ce matin... Comme vous l'a surement dit votre père, très peu de policiers survécurent durant l'opération. On à jamais retrouvé le cadavre du tueur... C'est pour ça que peu de chose m'émeuvent. Je crains que cet être immonde ne soit de retour. C'est sur cela que nous travaillons. Le retrouver, l'appréhender, l'éradiquer. Je ferais mon deuil après.
- C'est le travail de la police, pas celui d'un professeur d'histoire...
- Je le sais... Mais vous avez vu le corps. Vous aussi, vous préféreriez que ce salopard meure sans autre forme de procès.
- Je préférerais qu'il pourrisse en prison, telle que le prévoit la loi.
- En êtes vous sûre ?
- Absolument.
Elle mentait. Si elle en avait la possibilité, elle aurait cent fois préféré tuer elle même le responsable de la boucherie. Durant le reste de l'interrogatoire, Edan garda le silence, consultant de temps à autre quelques feuilles qu'il piochait sur la table.
Finalement, Yria abandonna son calepin pour questionner Daniel sur un tout autre sujet :
- Que faisait un professeur d'histoire sur une opération policière ?
- A l'époque, le tueur laissait des marques ésotérique, Edan m'a recommandé auprès de la police parce que je pouvais analyser les marques. C'est en partie grâce à cela que nous l'avons trouvé.
- Ça n'explique pas ce que vous faisiez sur le théâtre des opérations...
- En effet... Je n'ai pas toujours été professeur.
Edan rit doucement. Yria garda le silence un moment. Le reste de l'interrogatoire se déroula en une dizaine de minutes. Bien qu'elle n'appréciait guère la froideur de Daniel, elle devait reconnaitre que son témoignage tenait la route. De plus, si Edan lui faisait confiance, c'est qu'il n'était pas du genre à déchiqueter une femme dans une ruelle.
L'entretient se termina et Yria rangea ses affaires. Avant qu'elle ne parte, Daniel la retînt.
- Mademoiselle Leghan, comme je vous l'ai déjà dit, soyez prudente. La créature que nous traquons n’a rien d'humain. Elle massacre des femmes aveuglément et la dernière fois que nous l'avons croisée, dix-sept hommes de terrain son mort en essayant de l'appréhender. Il était seul lorsqu'il les à massacré... S'il sent que vous le traquez, il essaiera de vous tuer en premier.
Yria sourit.
- Vous étiez profiler à l'époque, je me trompe ?
- Oui, vous vous trompez
Sans se départir de son sourire, elle haussa un sourcil avant de le saluer et de se diriger vers sa voiture. Daniel ne referma la porte que lorsqu'elle eut démarré et se soit éloignée pour tourner à l'angle de la rue. Il retourna dans son salon et se laissa tomber sur un fauteuil en soupirant. Sans lever les yeux d'un rapport, Edan lui demanda :
- Qu'en penses-tu ?
- Que c'est la digne fille de Cédric, qu'elle se mettra en danger en cherchant et mourra comme lui.
- Cédric me semble bien vivant, je l'ai vu il y à deux jours.
- Ouais, il serait dans le néant si on avait pas été là...
Daniel regarda la carte, pensif. Edan lâcha le rapport de police et se prit la tête entre les mains avant de frapper la table basse.
- Bon sang ! Il n'y à aucune trace, rien d'exploitable !
- Il ne me laissera pas le trouver comme à Dublin, il est prudent. Mais il continue de laisser les cadavres derrière lui... C'est illogique.
- C'est inexploitable aussi, tu le sais bien.
- En effet... J'ai l'impression qu'on ne pourra pas le trouver sans connaitre ses cibles à l'avance...
- Il les sélectionne au hasard, au gré de ses pérégrinations, les attire je ne sais comment dans des endroits isolés et les massacre en quelques secondes. Le temps qu'on le retrouve...
- ... Le nombre de victimes sera très élevé. J'espère vraiment que cette fois on l'aura... Définitivement !
Edan marmonna une phrase d'assentiment avant de brusquement tendre la main vers un énième rapport. Il le parcouru en vitesse, puis le déposa et en prit un autre.
- À Dublin, quelle était la cadence des meurtres lorsque nous allions le coincer ? Lança -t-il.
- Un presque tout les deux jours, malgré la surveillance policière et le couvre feu. J'avais pensé qu'il accélérait la cadence quand on était proche de lui, judiciairement parlant, mais je n'ai eu ni le temps ni la possibilité de vérifier cette hypothèse.
- Et si ça avait été notre présence ?
Daniel se gratta le menton avant de répondre :
- J'y ai songé... Hélène avais un petit potentiel, mais ce n'est pas le cas de toute les victimes.
- Sauf qu'il est devenu plus actif quand nous sommes venus en Irlande.
- Donc il serait attirés par... Attend, Si il tuait tout les deux jours quand nous étions à Dublin... Imagine sa vitesse ici.
Edan pâlit. Daniel soupira et rajouta :
- Nous n'avons plus le choix Edan... Je peux trouver sa trace en quelques heures mais je dois voir le corps d'Hélène.
- T'y risquerais ta vie...
Daniel haussa un sourcil et répliqua :
- Comme si tu t'en souciais. Tu serais débarrassé de moi.
L'ex-mercenaire éclata de rire et se leva pour prendre le téléphone. Avant que Lionnel ne décroche, il rajouta :
- Tu aimes le filet américain j'espère ?
Daniel ne rit pas. Il se contenta de mettre un peu d'ordre dans son salon pendant que son comparse téléphonais à Lionnel. C'est en prenant la tasse de café à moitié remplie qu'il se dit qu'il aurait pu avoir cette idée plus tôt, quand le légiste était avec eux.
Edan raccrocha, l'air contrarié.
- Apparemment Lionnel ne rentrera pas au labo avant lundi... Et il n'y à que lui pour nous faire entrer et nous assurer qu'on ne sera pas dérangé pendant que tu feras ce qu'il faut.
- Déjà qu'il bosse un samedi... Enfin nous n'avons pas le choix n'est-ce pas ?
Edan jeta un regard noir à Daniel. Un idée très désagréable venait de germer en lui.
- Dis moi, Daniel, que comptais-tu faire avec cette Hélène ?
L’intéressé eut un petit rire sans joie. Le sourire qu'il afficha ensuite était glacial, dénué de tout sentiments.
- Pratiquement la même chose que celui que nous recherchons, très cher Edan. Sauf que...
Avant que Daniel aie eut le temps de terminer sa phrase, l'ex-mercenaire l'avait attrapé par le col de sa chemise et l'avait soulevé du sol d'une seule main sans effort apparent. De petits arcs électriques remontèrent le long de son bras pour crépiter au bout de ses doigts, électrocutant faiblement son captif qui resta sans réaction.
- Un monstre enchaîné pour traquer un monstre libre, hein ? Articula Edan, les dents serrées. J'ai toujours dis que tu avais trop peu de chaînes. T'aurais du crever !
Daniel soupira, Si être soulevé à près de trente centimètre du plancher l'inquiétait, il n'en montra rien. Il jeta un œil désintéressé aux étincelles bleutées frappant son cou, puis rétorqua :
- La différence entre ce monstre et moi, c'est que j'utilise les trois quarts de l'énergie que je récolte pour redonner la vie à ceux que je ponctionne. De cette manière, je les débarrasse de leurs potentiels et régénère intégralement leurs corps.
Daniel posa négligemment la main sur le bras qui le maintenait en l'air. Edan le lâcha comme s'il venait de se brûler. Alors qu'il jurait en se tenant le bras, le professeur d'histoire parla à nouveau.
- Pour beaucoup de ces humains, leur potentiels représente une malédiction plutôt qu'un don. Je ne tue personne.
- Et toi pendant ce temps, cracha Edan, tu accumule de l'énergie en douce. Dois-je te rappeler les conditions de ta détention ?
- Tu n'étais même pas né lorsque ces conditions furent établies. Je suis libre de faire ce que je veux, tant que je ne tue ni ne corromps personne. Je n'ai commis aucune infraction, mon petit Kannad.
- N'utilises pas ce nom ! Mon nom, ici et maintenant, c'est Edan. Edan Toirneach !
Après avoir hurlé, il lui fallu reprendre son calme. L'ex mercenaire regarda son bras. Là où Daniel l'avait touché, sa peau était marbrée de bleu et de rouge, comme si le professeur avait serré la main au point de faire exploser des vaisseaux sanguins. Pourtant, il n'avait fait que toucher le bras d'Edan, sans serrer. Au bout de quelques secondes, l'énorme bleu se résorba et disparu intégralement.
- Que fais-tu du Pacte, Daniel ? Même en partant du principe que tu es autorisé à faire ce que tu fais, tu menace le Pacte et notre sécurité à tous.
- Ceux que je ponctionne ne se souviennent pas de ce que je leurs fais, je ne laisse aucune trace.
- Soit, soupira Edan. Si j'en reçois l'ordre, je t'exécuterai avec un grand plaisir.
Daniel éclata de rire. Un rire sinistre qui fit frisonner Edan. Il avait toujours eu le don de lui faire peur. Plus peur que la mort.
Dimanche, 02h40, Centre villeLa Créature arpentait les rues au hasard. Personne ne La remarquait, Elle y avait veillé en prenant une apparence qui n'attirait pas l'attention. A cette heure ci, les gens ne faisaient pas attention en croisant un chien errant. Tout au plus les rares personnes que la Créature croisaient tournaient la tête pour La regarder un moment avant de ne plus s'y intéresser.
L'apparence hirsute et canine ne Lui déplaisait pas, que du contraire. Bien évidemment, Elle préférait de loin sa forme véritable, mais Elle devait reconnaitre que son vrai corps manquait cruellement de discrétion. Elle errait, flairant ça et là des proies potentielles. De nombreuses personnes possédaient cette petite étincelle qui leur donnait un si bon goût. Elle devait néanmoins faire montre de prudence, car Elle n'avait pas encore assez de force pour s'attaquer à de trop grosses proies...
Personne ne l'avait vue sur les lieux de son précédent repas. Aucun policier n'avait fais attention au chat resté couché sur un muret. Elle avait ainsi pu apprécier le ballet des policiers, tentant vainement de comprendre ce qu'il s'était passé. Les idiots n'avaient pas compris qu'il ne s'agissait que de restes, juste ce qu'Elle n'avait juste pas voulu manger car Elle avait été rassasiée.
C'est en observant qu'Elle avait pu repérer son prochain repas. Une femme avec une aura particulière. Un inspecteur qui sentait le vieux sang. Elle devait avoir quelques cicatrices, de délicieuses sensations gustatives en perspective. Mais des éléments extérieurs avaient contrariés la Créature. Pour commencer, un homme dont l'aura suintait littéralement la puanteur de la mort. Une présence qui L'avait dérangée, l'empêchant d'agir à sa guise. Ensuite, Elle avait dû suivre sa proie à travers la ville, puis attendre de longues heures devant sa maison. Quand, enfin, Elle avait pu agir, la graine avait été plantée dans l'esprit de sa proie.
Après cela, quand l'inspecteur était sortie, la Créature avait senti son repas proche. Du moins, jusqu'à ce que sa proie entre dans une maison. Une maison qui sentait délicieusement bon, mais qui L'effrayait terriblement. Au lieu d'attendre, comme elle en avait l'habitude, Elle avait préféré fuir. Loin, très loin. Maintenant, elle errait. Bien qu'Elle disposa d'une patience sans limite, la faim commençait à La tenailler. Elle avait faim, tellement faim qu'Elle s'oublia.
- Patience... Siffla-t-Elle de sa voix rauque, inhumaine.
L'heure du repas approchait, lentement mais sûrement. Mais Elle devait encore patienter, pour être sûre de pouvoir attirer sa proie dans un piège et la dévorer à son aise. Un véritable festin l'attendait, Elle le sentait. Bavant d'envie, au sens propre comme au figuré, Elle s'élança à travers une ruelle. Un autre chien s'y trouvait. Il gronda, montrant ses crocs. En temps normal, Elle n'aimait pas se nourrir d'animaux, ils étaient si insipides. Mais avec sa faim grandissante, Elle ne refusa pas cette friandise. Perdant tout contrôle sur son apparence, Elle reprit avec plaisir et soulagement sa vraie forme.
Le couinement de détresse du chien disparu dans le silence nocturne.
4h23, Domicile de Daniel CenncroithiDaniel se redressa en sursaut, couvert d'une fine pellicule de sueur glacée, haletant. Il avait cauchemardé, comme toute les autres nuits. S'asseyant sur son lit, il prit le temps de reprendre un rythme de respiration normal. Avec le temps, il ne savait plus si son cauchemar reflétait les événements passés tels qu'ils étaient ou si son subconscient avait enjolivé les choses. Comme il le disait souvent, ça ne changeais rien au faits. Rien ne pouvait changer le passé. Il se leva lentement, nu comme un ver et alla ouvrir un tiroir de sa table de nuit. Sa vision nocturne étant parfaite, il n'avait pas besoin d'allumer la lumière. Le tiroir ne contenait qu'une petite boite en ébène. Daniel l'ouvrit précautionneusement et prit l'objet qu'elle contenait. Un pendentif en forme de tête de loup. Sculpté dans le croc d'un loup géant il y à des siècles. L'un des seuls souvenirs qu'il lui restait de Flavia. Chaque fois qu'il cauchemardais, il revoyait sa mort. Chaque fois qu'il se réveillait, Il entendait l'écho de son cri. Lorsqu'il voyait le pendentif, il l'entendait également.
Daniel soupira et rangea le bijou.
Depuis que c'était arrivé, le cri d'agonie de sa fille hantait ses nuits, toutes ses nuits depuis si longtemps.
Un bruissement provenant de son jardin lui fit lever la tête. Il se leva en vitesse pour regarder à la fenêtre de sa chambre. Une forme canine se déplaçait dans son jardin, trottinant de long en large dans la pelouse. Daniel eut un petit rire sec et enfila un pantalon. Il descendit au rez de chaussée en prenant son temps. Avant d'ouvrir la porte coulissante vitrée qui donnait sur son jardin, il entra dans sa cuisine dans le noir quasi total et prépara deux cafés : Un noir serré et un sucré avec beaucoup de lait. Lorsqu'il fit coulisser la baie vitrée, l'air frais de la nuit lui fouetta le visage. Le loup, une bête de grande taille couleur grise, s'assit et regarda Daniel en inclinant la tête sur le côté. Le professeur attendit une trentaine de seconde avant de héler l'animal.
- Aller, reste pas dehors, rentre. Mais change toi dans le jardin, j'ai pas envie que tu ne salope tout.
Le loup bailla et se coucha. Son corps se mit à fluctuer, émettant d'immondes bruits mouillés ainsi que des craquements d'os. Sa peau se fendit en deux au niveau de son dos, révélant un dos humain. L'homme, un jeune adolescent aux cheveux bruns cours, s'extirpa de sa forme animale. Au fur et à mesure, la peau de loup se retournait, les poils disparaissant pour laisser la place à une peau humaine, marquée de quelques cicatrices. Au cours du processus, les loups garous généraient une sorte de lubrifiant, huileux et transparent en grande quantité. Une fois que les poils eurent complètement disparus, le jeune homme se redressa, nu. Avec un sourire en coin, Daniel lui jeta un peignoir et se dirigea dans sa cuisine. Il s'assit et pris son café, le noir. Lorsque l'adolescent fut assit en face de lui, vêtu et sirotant son café au lait, il ne le quitta pas des yeux. Le jeune homme se nommait Michael, Daniel ignorait son nom de famille et, pour tout dire, il n'en avait cure. C'était un homme de main de l'Alpha, il n'y avait rien d'autre à savoir. Le professeur garda le silence, bien décidé à resté muré dans le silence le plus complet jusqu'à ce que le jeune loup-garou parle.
Ce dernier prit son temps, buvant lentement avant de déposer la tasse sans un bruit et d'enfin adresser la parole à son hôte.
- Vous pouvez allumer la lumière ? On à l'air fin dans le noir !
Sans se départir de son air impassible, Daniel s'exécuta. Tout deux clignèrent des yeux, légèrement désorientés par le brusque changement de luminosité. Souriant, Michael reprit :
- L'Alpha sait que vous êtes à la recherche du Dévoreur, Monsieur Cenncroithi.
- Et alors ?
- Elle est prête à faire une trêve. Le temps que nous puissions traquer et tuer ce monstre.
Daniel éclata de rire. Un rire dénué de joie, mélancolique.
- Allons bon, Morgane à dit ça ? Vraiment ? Tu me fais marcher, n'est-ce pas Michael ?
- Non monsieur. La proposition de l'Alpha est sérieuse. En plus des humains, le Dévoreur représente une menace pour notre communauté et c'est une menace sérieuse.
- Tu diras à Morgane qu'elle seule peut nous aider. Ses loups, même son meilleur chasseur, ne seront ni assez disciplinés ni assez discret. Vois-tu, Daniel se pencha vers son interlocuteur, ce n'est pas une traque qui laisse place aux erreurs. Elle à du entendre l'histoire de la bouche de Lionnel, non ? Donc elle devrait savoir ce qui c'est passé à Dublin.
Michael rit à son tour, plus doucement, exhibant littéralement ses crocs. Les loups-garou avaient souvent de petites mutations sur leur apparence humaine, dents pointues, pilosité développée, ongles plus durs... De nombreux petit détails qui passaient souvent inaperçu au yeux de la multitude humaine, mais pas aux yeux des autres.
- L'Alpha avait dit que vous diriez ça. Même si elle n'aime pas votre point de vue sur la meute, elle est d'accord avec vous, aussi elle souhaiterais vous voir au plus vite.
- La dernière fois qu'on s'est vu, soupira Daniel, il à fallu trois heures pour nettoyer le sang sur les murs... Est-ce vraiment une bonne idée ?
- J'en doute... Mais l'Alpha pense que la situation est urgente. Suffisamment pour qu'elle se retienne de vous agresser, à la condition sine qua non que vous en fassiez autant.
- Dis à Morgane qu'elle peut venir ici lundi pour le souper, aux environs de dix-neuf heures. Si elle le désire, Edan et Lionnel peuvent venir et faire office de médiateurs... Quoique je doute qu'ils acceptent de le faire depuis la dernière fois.
- Non, l'Alpha préférera être seule avec vous. Je vous téléphonerais dans le courant de la journée pour vous dire ce qu'Elle compte faire.
- Mes salutations à la meute, Michael. Que l'astre lunaire guide vos pas et que la Traque soit bonne.
Michael se leva en même temps que Daniel. Sans montrer de gêne, il ôta le peignoir et le tendis au professeur. Ce dernier le raccompagna jusqu'à son jardin afin de refermer la porte derrière lui. Laissant Michael à sa mission, il remonta dans sa chambre et se laissa tomber sur son lit. Il était stressé. Affronter le Dévoreur, comme l’appelaient les loups, l'inquiétait moins qu'une confrontation avec Morgane. A chaque fois la discussion dérapait et finissait en affrontement. Morgane ne lui avait jamais pardonné la mort de Flavia. Une louve n'abandonnait jamais ses louveteaux...
4h30, dans le bar La Porte BlancheEdan avait du mal à remplir son verre tant sa tête lui tournait. Il y parvint, non sans renverser une bonne partie de la bouteille sur le bois massif du comptoir.
- A la santé de ce connard... Pour m'avoir flanqué un pysch... Psych... Pour m'avoir flanqué Daniel, merde ! Cria-t-il d'une voix peu assurée.
Il vida son verre d'un coup, savourant le breuvage brûlant. Sa tête lui tournait de plus en plus, mais il n'en avait cure. Il avait besoin de s'évader, de ne plus penser au monstre, de ne plus penser à Daniel, de ne plus penser à rien, de se sentir humain l'espace d'une nuit de beuverie. Mais cette nuit était différente. Il n'éprouvait plus la même joie à l'idée d'être saoul. La situation commençait à déraper dangereusement. Daniel reprenait lentement des forces alors que celles d'Edan s'amenuisaient au fil des années. C'était pitoyable. Jamais il ne s'était senti si faible depuis des siècles. Dans une autre vie, un autre temps, une autre réalité, tout était différents, tout était plus simple. Écœuré, il paya ses consommations et sortit en vitesse. Il du faire un léger effort de concentration pour canaliser une infime part de pouvoir afin de dissiper les brumes de l'alcool. Pratiquement sobre, il marcha lentement dans les rues désertes. Son domicile n'était pas loin, mais il n'avait pas envie de dormir. Lorsqu'il avait décidé de devenir le Gardien, il était encore au sommet de sa forme. Daniel avait tenté de s'échapper à de nombreuses reprises. Edan ne pouvait plus compter le nombre de fois où il s'était battu avec son prisonnier. Il avait toujours eu l'avantage, mais il craignait d'être à présent trop faible pour vaincre sans y laisser sa vie. Bien entendu, tant que Daniel n'avait pas la clé de ses chaînes, il n'était que l'ombre de lui même. Même si Edan venait à mourir en l'affrontant, il était impossible que le sieur Cenncroithi puisse se libérer.
Très peu de personnes osaient encore appeler Daniel par son vrai nom, il était trop chargé de souvenirs. Des souvenirs anciens que tous préféreraient oublier...
Edan fut interrompu dans ses sombres pensées par une forme noire galopant vers lui. Un chien, hirsute, la fourrure laissant apparaître ça et là des plaques de peaux nues, un animal malade qui courait dans la nuit. Lorsque la bête passa à sa hauteur, l'ex-mercenaire pu sentir une odeur abominable, relents de sang et de viande avariée. Cette même odeur ignoble qui avait envahi le bâtiment à Dublin, il y à des années de cela.
Le cœur battant à tout rompre, Edan se retourna. Le chien s'était volatilisé dans la fraicheur nocturne. La présence du monstre était faiblement perceptible mais il était impossible de savoir où il se trouvait à présent. Il avait disparu, purement et simplement.
Jurant copieusement, Edan serra le poing. En temps normal, il l'aurait perçue plus vite et ne l'aurait certainement jamais laissée filer. La Chose était toujours en liberté. Le cas de Daniel devait attendre, même si ça n'enchantait pas son Gardien. La priorité était néanmoins d'éliminer ce monstre avant qu'il ne frappe à nouveau...
Sans se décrisper, Edan se remit en marche. Une froide détermination brillait dans son regard.
18h55, Domicile de Daniel CenncroithiLorsque Morgane arriva, un peu en avance comme toujours, Daniel était assit sur son lit, le pendentif de sa fille, de leur fille, en main. Il avait beau avoir affronté des myriades de créatures inhumaines, la présence de Morgane faisait toujours accélérer son cœur. Il hésita quelques secondes entre porter le pendentif ou le ranger, avant de finalement le remettre dans son écrin. Il s'était vêtu d'une chemise et d'un pantalon en satin noir. Lorsqu'il ouvrit la porte, il resta figé en la voyant. Elle était sublime. En se posant sur le visage de son hôte, les yeux de la louve virèrent presque instantanément à leur couleur ambrée, signe d'une émotion forte. Daniel afficha un sourire timide avant de s'écarter pour la laisser entrer.
- Je vais terminer la cuisson, met toi à l'aise et rejoint moi dans la cuisine. Dit-il avant de rapidement s'esquiver.
Morgane sourit, bien malgré elle, avant d'enlever ses chaussures. Elle avait toujours été plus à l'aise pied nus, même avant d'être infectée par la maladie des loups. Elle avait beau haïr Daniel et avoir envie de lui fracasser le crâne contre un mur, l'odeur de viande la décontracta. Elle huma l'air salivant en reconnaissant la douce fragrance de la viande crue parmi les odeurs de cuisson. Elle lutta pour ne pas se précipiter dans la cuisine et s'y rendit en marchant un peu plus vite qu'elle ne l'aurait voulu. Daniel avait acheté plusieurs steak de bœuf et en avait laissé trois de côté sans les cuire. Morgane peina à cacher son sourire et s'assit, s'appuya sur ses mains et attendit que Daniel termine son affaire, mi espiègle mi affamée. Il ne la fit pas attendre longtemps et lui servit un steak cru, se réservant la pièce cuite. La viande était accompagnée d'une salade fraiche et de frites. Avant de s'asseoir, Daniel servit deux verre et une carafe d'eau, aucun des deux n'appréciant le vin. Ayant peu mangé chez Lionnel, Morgane se jeta avidement sur sa viande, rechignant à utiliser ses couverts. Elle marqua un petit temps d'arrêt pour regarder sa robe avant de lever les yeux vers son hôte d'un air interrogateur. Ce dernier, cachant avec peine un petit éclat de rire, hocha la tête et termina de mâcher sa bouchée. La louve se leva, fila se laver les mains et ôta sa robe qu'elle plia soigneusement avant de retourner se mettre à table en sous-vêtement, exposant un pendentif identique à celui que Daniel avait rangé avant qu'elle n'entre. Être si peu vêtue ne la dérangeait pas, après tout Daniel l'avait déjà vue nue bon nombre de fois auparavant et elle n'avait plus à se soucier des éventuelles tâches qu'elle pourrait faire sur ses vêtements. Elle ne fit donc pas attention au liquide qui coula de la pièce de viande pendant qu'elle mordait dedans à pleine dents. Au fur et à mesure que le gout du sang et de la chair se répandaient dans sa bouche, elle perdit de plus en plus de contrôle sur elle même et se reprit juste avant de se mettre à grogner.
Elle ferma les yeux le temps de se lécher les lèvres puis reprit une attitude civilisée pour manger sa verdure. Le reste du souper se déroula dans le silence, une tension presque palpable se répandant insidieusement dans l'atmosphère. Daniel débarrassa la table et servit deux tasses de café noir. Le tête à tête allait pouvoir commencer et les probabilité de bataille allaient monter en flèche. Ce fut Daniel qui parla en premier, non sans avoir attendu une bonne minute.
- Bon... On va devoir travailler ensemble jusqu'à éradication de la menace.
- Lionnel à passé une partie de la journée à nous faire un briefing à moi et aux autres.
- Ah... Et que puis-je te donner comme indications alors ?
- Rien... J'aurais du annuler notre rendez-vous mais... J'avais envie de te voir.
Daniel haussa un sourcil. Une ombre passa dans son regard avant qu'il n'articule le nom de leur fille dans un murmure.
- Flavia...
La simple mention de ce nom fit apparaitre des larmes dans les yeux de Morgane, qui demeurèrent ambrés. Sa voix semblait sur le point de se briser, mais elle ne se brisa pas.
- Entre autres... Mais c'est plutôt de nous dont j'aimerais parler.
La voix de Daniel demeura aussi imperturbable que son visage. Mais la louve avait toujours su lire dans ses yeux. Et elle y lisait de la douleur et du regret, beaucoup de regrets.
- Flavia est mort depuis six siècles, un mois et sept jours et tu n'as eu de cesse de me haïr depuis... Quand tu es entrée j'ai cru que tu allais encore essayer de me tuer. Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui pour que tu ne tente pas de m'étriper pour me parler de... De nous.
Sa voix s'était presque brisée sur les derniers mots. Les larmes de son interlocutrice coulèrent lentement, mais aucun sanglot de secoua ses paroles.
- Je n'oublierai jamais Flavia... Tout comme je ne pourrais oublier la façon dont tu l'as laissée mourir. Rien au monde ne me ferais plus plaisir que de t'arracher les tripes, de te massacrer jusqu'à ce qu'il ne reste de toi que quelques morceaux d'os épars. Mais ça ne me ramènera pas ma fille. J'ai consacré trop de temps et d'énergie à te haïr. Il est temps de tourner la page.
Daniel se décontracta et osa afficher un petit sourire amical.
- C'est une bonne chose que de savoir oublier sa haine... Sans quoi elle aurais fini par te consumer.
En un éclair, Morgane abattit sa main sur la table, renversant les tasses. En quelques secondes, son visage s'allongea pour ressembler au museau d'un loup. Lorsqu'elle parla, détachant chaque mot, sa voix avait baissé de plusieurs octaves et étaient devenue gutturale.
- Je n'ai jamais dis que j'avais oublié ma haine envers toi !
Les mains de la louve s'allongèrent, tandis que sa peau commença à exsuder un liquide huileux et transparent. Daniel comprit qu'il n'aurait que quelques secondes avant qu'elle n'achève sa transformation et ne saccage sa maison en cherchant à le tuer. Il la connaissait bien et savait qu'elle n'allait pas prendre sa forme animale, optant pour l'apparence d'une créature hybride qui lui permettrait de se battre plus efficacement au corps à corps. Il se redressa, invoquant son pouvoir. Ses entraves s'éveillèrent et bloquèrent la quasi totalité de sa magie, l’empêchant comme toujours d'accéder à son plein potentiel. La majeure partie de sa magie était basée sur le principe de corruption, altérant les énergies et les êtres vivants. Il était hors de question de faire subir cela à Morgane, mais il pouvait tenter de détourner sa force pour court-circuiter la transformation de la lycanthrope. Daniel savait que ça allait être douloureux, autant pour elle que pour lui, mais au moins la louve serait presque instantanément calmée. En théorie du moins. S'il contrôlait mal le flux d'énergie, il risquait de se tuer. Heureusement, Morgane ne risquait rien.
Se redressant et bougeant à une vitesse surhumaine, Daniel plaqua sa main sur la poitrine de son adversaire, au niveau du cœur. Comme le soutient-gorge de la louve était en partie déchiré, il pu établir un contact physique avec toute la paume de sa main. Son énergie, glaciale et avide, entra brutalement en contact avec celle de la louve, chaude et sauvage. Il entreprit immédiatement d'aspirer cette force primale, d'en prendre le plus possible.
Morgane sentit immédiatement son énergie la quitter. Elle détestait cette sensation et sa colère en fut décuplée. Réagissant instinctivement, elle mordit le bras qui la touchait avec sa gueule à moitié formée. Un frisson d'épouvante glissa le long du dos de la louve quand elle se rendit compte que le contact physique crée par la morsure permettait à Daniel de siphonner sa force plus efficacement. Pire, il avait profité qu'elle le mordait pour la toucher avec son autre main.
Le sang qu'elle goûta était glacial et avait un gout de viande avariée. Elle relâcha aussitôt sa prise dans un jappement de peur. La terreur lui fit totalement perdre le contrôle et l'énergie qu'elle s'était attelée à retenir s'échappa. Crucifiée de douleur, elle reprit sa forme humaine contre sa volonté.
L'affrontement avait duré moins de dix secondes.
Elle se recroquevilla nue sur sa chaise, n'ayant gardé que son pendentfi, regardant Daniel lutter avec l'énergie qu'il avait absorbé.
Il se crispa, ses yeux prenant à leur tour une couleur d'ambre et ses ongles se muant en griffes sombres. Il inspira une grande goulée d'air et grogna de douleur tandis qu'il reprenait avec peine son apparence normale.
- A l'avenir, quand tu me parles de passer à autre chose, j'aimerais que tu le fasses.
Son ton était étrangement dénué du moindre sentiment. Elle n'y perçu aucune trace de colère ou d'amertume. Même ses yeux, qu'elle savait pourtant déchiffrer avec aisance, ne révélaient plus rien sur son humeur. Bien décider à ne pas se laisser dominer pour autant, Morgane poussa un grognement de défi. Daniel s'assit et reprit sur un ton normal :
- Bon, passons outre cet incident. Je ne suis pas d'humeur à me battre avec toi. D'abord on se concentre sur le Dévoreur, puis on avisera pour nous deux. Ça te vas ?
Elle acquiesça silencieusement. Aveuglée par sa colère, elle avait temporairement oublié la menace. Sans qu'elle ne dise mot, Daniel déboutonna sa chemise et la lui jeta négligemment.
- Couvre toi, après ce qui c'est passé tu vas avoir froid.
Effectivement, elle commençait à frisonner. Elle ressentait peu les effets de la température en temps normal.
Ils se regardèrent sans rien dire pendant plusieurs minutes. L'atmosphère ne s'était pas détendue d'un iota.
Morgane décida de remettre sa robe. Ne pas avoir de sous-vêtement son son habit ne la gênait pas, elle ne devait plus voir personne aujourd'hui. Pendait qu'elle s'habillait, Daniel nettoya sa cuisine à grandes eaux pour enlever toute trace de café et de résidus huileux. Il raccompagna la louve jusqu'à la sortie de son habitation, vérifia qu'il ne lui arrivait rien lorsque des membres de sa meute vinrent la chercher et ferma la porte à double tour. Il soupira, monta se coucher, abandonnant ses vêtements à même le sol. Il prit le pendentif de sa fille et le serra contre son cœur, sombrant peu à peu dans les ténèbres du sommeil. Un sommeil empli des cauchemars d'une autre époque.
Lundi, 8h05, Commissariat, Bureau d'YriaLe léger brouhaha qui régnait dans le couloir poussa l'inspecteur à se lever pour fermer la porte de son bureau. Maugréant, elle se rassit devant la petite pile de dossier qu'elle venait d'ouvrir. Réveillée une heure trop tôt par un rêve dont elle ne conservait que quelques vagues lambeaux, elle ne s'était pas débarrassée de sa mauvaise humeur. Au contraire, ce début de journée avait été exécrable. Une horde de journalistes attendaient devant l'entrée du bâtiment, avide de détails croustillants et sordides. Comme toujours, il y avait eu des fuites et la presse avait eut vent de l'affaire. De quoi faire les gros titre durant un moment.
- Heureusement qu'ils n'ont pas eu accès aux photos... Marmonna-t-elle pour elle même.